RDC : La Société civile congolaise en question (Analyse)
Bruxelles, 04/08 - Un confrère journaliste, visiblement du PPRD, qui a l'habitude de commenter l’actualité congolaise en tirant le drap du côté de la Majorité présidentielle et en critiquant sans relâche les actes de l'opposition, m'a dit un jour, dans un débat sur les défections et exclusions autour du dialogue politique :
"Ça te fera bonne conscience de voir l'opposition, que dis-je TON opposition ... ". Je lui ai répondu : "Erreur. Je ne suis ni de l'opposition ni pro-opposition. Je suis de la Société civile et prêt à accompagner la vérité d'où qu'elle vienne". Sa réplique m'a quand même étonné. Il dit : " On sait où se réveille la société civile chaque matin."
J'ai immédiatement eu peur pour ce gars, qui est une connaissance de longue date. En effet, avec l'ANR et le ministre Thambwe qui se sont spécialisés dans les emprisonnements et/la confection des procès avec condamnation expéditive, j'ai vraiment eu peur pour mon ami. Parce que si Kinshasa interprète le point de vue de mon ami du PPRD pour qui la Société civile n'existe vraiment pas en RDC, cela peut virer à l'infraction, pour déviationnisme et traitrise. Car le pouvoir a annoncé que le dialogue se tient avec la Majorité, l'Opposition et la Société civile. Et notre ami semblait contredire Kinshasa.
Mais l'on comprend dès lors pourquoi le camp de Kabila est si impopulaire. Si on ne peut compter que sur des personnes surexcitées et adoratrices d'un politicien, qui ne peuvent émettre des critiques - soient-elles constructives - de peur de heurter la personne adorée, on comprend pourquoi le progrès est absent. La société civile, qui elle est proche de la population n'existe pas, alors que c'est elle qui est le véritable miroir du vécu quotidien et la mieux informée sur la situation générale, par rapport à nos politiciens d'habitude déconnectées des réalités.
Tout doit concourir au bonheur de la population
Je profite de l'occasion pour rappeler que tout dirigeant d'hier, d'aujourd'hui et de demain devrait savoir que toute action politique doit concerner la population. Tout doit concourir au bien, disent les religieux. Tout doit concourir au bonheur de la population, disent les démocrates. Par exemple : Alors qu'on peut construire à Kinkole, Maluku ou à Mitendi, si l'on "chasse" les maraichers de Bandalungwa pour ériger des immeubles avec des militaires armés à l'entrée, et où le loyer mensuel est de 1 500 dollars, au moment où le salaire moyen est de 100 dollars, pouvez-vous vous attendre à des applaudissements de la part de la Société civile, et donc de la population ? A moins de préférer un applaudimètre trafiqué avec l'argent public.
Si la population de l'est est massacrée depuis plus d'une dizaines d'années, croyez-vous que la population locale et ses compatriotes des autres provinces vont être contents de Kinshasa ? C'est cela la société civile - et non l'opposition, comme dirait mon ami.
Si l'hôpital général de référence de Walungu, le Fond Social du Kivu, est sans eau ni électricité et fonctionne aux groupes électrogènes occasionnant d’importantes dépenses, selon le Bulletin de l'ACP du 31 août, si dans le même bulletin on nous informe que les enseignants des écoles primaires et secondaires de Tshimbulu, à 117 km de Kananga au Kasaï Central, menacent d’aller en grève pour non paiement de leurs salaires.
Si dans le foyer minier de Mutchatcha près de Bunia, trois personnes viennent d'être tuées et quatre femmes violées par les miliciens Maï Maï Simba, lors d'une attaque,et plusieurs autres kidnappées dont cinq jeunes filles relâchées quelques jours plus tard, croyez-vous que ceux qui dénoncent ces faits sont de l'opposition ?
Si à Matadi, la route du 24/15 est délabrée ou si le personnel de tout un service est révoqué (le REPERE) - environ 300 personnes, dont certaines menacées par les services et même une décédée des suites de sévices, si à Lubumbashi le gars le plus populaire, de surcroît président du club local le plus adulé, est renvoyé en procès comme un vulgaire malpropre et menacé par des policiers qu'il dirigeait hier, croyez-vous que les milliers de supporters ne se soulèveront pas ? Et-ce de l'opposition ?
Que dit en substance la fameuse Résolution 2277
Bref, si le pouvoir refuse de respecter lui-même la loi, surtout la loi fondamentale, croyez-vous que ceux qui vont s'y opposer sont nécessairement de l'opposition ? Est-ce que, pour notre ami, l'ONU est aussi dans l'opposition, et avec elle l'UE qui y adhère et toute personne sensée, puisque dans sa Résolution 2277, adoptée à l'unanimité le 30 mars 2016, elle demande au Gouvernement ainsi qu'à ses partenaires nationaux, notamment la CENI, de "veiller à la transparence et à la crédibilité du processus électoral, étant donné qu'il lui incombe au premier chef de créer des conditions propices à la tenue des prochaines élections et notamment d'en faire une priorité, la présidentielle et les législatives étant prévues, conformément à la Constitution, pour novembre 2016" et donc en défaveur du "glissement" ?
Dans cette résolution, le Conseil "invite notamment la Commission électorale nationale indépendante à publier un calendrier complet révisé couvrant la totalité du cycle électoral et demande au gouvernement de la RDC d’élaborer rapidement un budget et un code de conduite pour les élections présidentielle et législatives de novembre 2016".
Même l'Union européenne est-elle dans l'opposition ?
On peut lire dans les conclusions du Conseil européen tenu le 23 mai 2016 sur la République démocratique du Congo :
"Tout en prenant note de l'arrêt de la Cour constitutionnelle du 11 mai 2016, l'UE souligne qu'un gouvernement démocratique fonde sa légitimité sur des élections régulières et dans les délais stipulés par la Constitution, que l'organisation des élections est la responsabilité du gouvernement, et que le manque de clarté à cet égard constitue actuellement un grand facteur d'instabilité dans le pays.
L'UE appelle les autorités congolaises à redémarrer au plus vite le processus électoral en franchissant des étapes concrètes. Conformément à la résolution 2277 du CSNU, elle invite la CENI à communiquer dans les plus brefs délais un calendrier révisé et des options qui permettent aux divers acteurs politiques de se prononcer sur la situation. Elle demande au Gouvernement de la RDC d'élaborer rapidement un plan de déboursement pour les élections ainsi que d'actualiser les listes électorales. Seul un engagement clair du gouvernement, tant politique que financier, permettra à l'UE d'apporter son soutien, au processus électoral en particulier.
L'UE exprime sa préoccupation quant aux entraves au débat politique en RDC, comme en témoignent les événements récents, notamment à Lubumbashi, Goma et Kinshasa.
Face aux rapports faisant état d'actes de harcèlements et d'intimidations en nombre croissant visant des responsables politiques, des professionnels des médias et des membres de la société civile, y compris des défenseurs des droits de l’Homme, l'UE rappelle qu'en cette période préélectorale, le respect des droits de l'Homme, notamment des libertés publiques, et la préservation d'un espace politique ouvert est crucial et constitue une condition préalable à la tenue d'un dialogue réel et crédible". Entre-t-elle de facto dans l'opposition ?
On voit que Kinshasa est mal barré, avec des communicateurs faisant preuve d'amateurisme primaire, tellement ils brillent par des contorsions qui ne font rire personne aujourd'hui.