Le décès d’Etienne Tshisekedi : Une perte immense qui augure d’autres incertitudes

Publié le par Jean-Cornelis Nlandu-Tsasa

 

Bruxelles, 02/02 - Étienne Tshisekedi, président de l’Union pour la Démocratie et le Progrès social (UDPS ), du Conseil des sages du Rassemblement et du Conseil national de suivi de l’Accord du 31 décembre, est décédé à l’âge de 84 ans, le mercredi 1er février 2017 à 17 heures à la Clinique Sainte Elisabeth de Bruxelles, des suites d’une embolie pulmonaire.

Les termes sont loin d’être suffisants si l’on affirme que la mort de l’opposant légendaire provoque un véritable séisme dans le cosmos politique congolais, tant sa stature et ses prises de positions ont marqué l’opposition congolaise de ces 30 dernières années.

Il faut par ailleurs reconnaître que la disparition de cette figure emblématique a quelque peu déboussolé l’ensemble de la population, qui considère le leader du Rassemblement des forces acquises au changement comme « le père de la démocratie congolaise » et surtout comme le verrou de sécurité pour la mise en place effective des dispositions de l’accord arraché aux discussions de la CENCO en vue et de l’organisation des élections présidentielle, législatives nationales et provinciales en décembre 2017 devant sanctionner le départ de Kabila.

Acheminé d’urgence à Bruxelles le mardi 25 janvier à bord d’un avion médicalisé, les observateurs avisés ne lui accordaient plus que quelques temps de vie, tout au plus trois mois, il a surpris les siens et ses millions de fanatiques en préférant tirer sa révérence une semaine à peine après sa prise en charge médicale.

Sûrement la plus grande figure de la nation congolaise

Etienne Tshisekedi était sûrement la plus grande figure de la nation congolaise encore en vie. Il entre dans l’Histoire comme un grand combattant de la lutte non violente contre la dictature et les dictateurs, à l’image d’autres leaders historiques de la planète, notamment Ghandi et Mandela, pour paraphraser un confrère kinois.

Sous Mobutu, Laurent-Désiré Kabila comme Joseph Kabila, jamais il n’a prêché le recours aux armes pour la conquête du pouvoir, alors qu’il ne manquait pas de soutien pour des actions militaires contre les « pouvoirs » en place. Il le prouvera encore dans le cadre du combat pour l’obtention de l’alternance démocratique au sommet de l’État par les élections et son acceptation des discussions du Centre interdiocésain, sous la médiation de la Cenco, où il a pesé par son charisme, alors qu’il avait tourné le dos au dialogue non inclusif de la Cité de l’Union africaine.

Grand combattant de la liberté, Étienne Tshisekedi laisse un vide difficile à combler non seulement au sein de la classe politique congolaise mais surtout à la tête de son parti et au sein du Rassemblement de l’opposition et du Conseil national de suivi de l’Accord du 31 décembre. Pour les Congolais, il représentait l'espoir des jours meilleurs, après autant d'années de gestion calamiteuse qui a totalement abandonné la population à une misère sans nom. D'où l'hystérie qui a gagné la population à l'annonce de son décès.

Mais en toute sincérité et en ma qualité d’observateur averti, la mémoire du défunt ne peut être valablement perpétuée qu’en plaçant Félix Tshisekedi à la tête de l’UDPS, en toute humilité et en guise de reconnaissance. Le contraire serait tuer une deuxième fois le lider maximo et sacrifier l’avenir de ce parti.

Quant au poste de Premier ministre de transition, devant revenir au Rassemblement, la disparition de l’opposant historique va sûrement dépassionner les débats sur la question et contribuer à l’émergence d’une personnalité ayant fait preuve de qualités éprouvées de gestionnaire pour l’obtention du fauteuil. Martin Fayulu ou Freddy Matungulu, pourquoi pas ?

Le corps de Tshisekedi exposé au Stade au Heysel

A Bruxelles, trois jours de veillées funéraires seront organisées ces vendredi, samedi et dimanche au palais 2 du Heysel. Le bourgmestre de Bruxelles-Capitale, Yvan Mayeur, a confirmé jeudi qu’à cette occasion, le corps de l'opposant historique sera exposé dimanche, toujours au palais 2.

A Kinshasa, le deuil se tient à la résidence du sphinx, à Limete. Mais hier mercredi, les attroupements des militants à l’annonce du décès avaient été dispersés par la police à coups de gaz lacrymogène. Cynisme ou simple coup de folie ? On ne le saura pas.

Qui est Étienne Tshisekedi ?

Il est né le 14 décembre 1932 à Kananga (Luluabourg) au Kasai. Encore étudiant et membre du Mouvement national congolais (MNC/Kalonji), il est nommé commissaire général adjoint à la Justice en 1960, dans le gouvernement des Commissaires généraux après la suspension du gouvernement Lumumba.

Premier Congolais docteur en Droit de l’Université Lovanium en 1961, il est ministre de la Justice dans le gouvernement du Sud-Kasai de février à juin 1961. Il devient recteur de l’École nationale de Droit et d’administration (ENDA) de 1961 à 1965, année où il est élu député national.

Après le coup d’État du général Joseph-Désiré Mobutu, le 24 novembre 1965, il devient tour à tour ministre de l’Intérieur et des Affaires coutumières, de 1965 à 1968, ministre de la Justice jusqu’en 1969 et ministre d’État au Plan, à la Recherche scientifique, à l’Aménagement du territoire, à la Coordination et à la Planification, la même année.

Membre fondateur du Mouvement populaire de la révolution (MPR) en mai 1967, il cumule, en 1968, les fonctions ministérielles avec celles de premier secrétaire national et de membre du Bureau politique du MPR, de 1967 à 1972. Également président de la Commission de politique générale, il est à ce titre l’un des auteurs du Manifeste de la Nsele et de la Constitution de 1967.

Il est ambassadeur au Maroc, en 1969 et 1970, lorsqu’il est élu député, puis réélu en 1975 et 1977. Il devient 2ème vice-président de l’Assemblée nationale, de 1970 à 1975, puis 1er vice-président jusqu’en 1977. Cosignataire, avec des collègues parlementaires, de la « Lettre ouverte au Président Mobutu », le 1er novembre 1980, dans laquelle le « Groupe des treize » dénonce les injustices, l’arbitraire et la gestion calamiteuse du Zaïre, il est exclu de l’Assemblée nationale un mois plus tard et relégué dans son village, puis jeté en prison.

Après leur relaxation, en 1982, les Treize créent l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), premier parti d’opposition au MPR. A la faveur de la démocratisation proclamée en avril 1990, il rentre à Kinshasa. En 1991, il est nommé Premier ministre, mais décline l’offre. Désigné au même poste par consensus entre le pouvoir et l’opposition, il est révoqué pour refus de prêter serment.

Le 15 août 1992, il est élu Premier ministre de la transition par la Conférence nationale souveraine (CNS). Son gouvernement est révoqué trois mois plus tard par un décret du président Mobutu, mais il continue de se considérer comme le Premier ministre légitime.

Après la chute du régime Mobutu et la prise du pouvoir par l’AFDL du président Laurent-Désiré Kabila, en mai 1997, il est de nouveau relégué dans son Kasai. En 2002, il participe, à Sun City en Afrique du Sud, au Dialogue intercongolais et son parti, l’UDPS, se retrouve au sein de la plateforme « Alliance pour la sauvegarde » (ASD), aux côtés du RCD-Goma, la rébellion soutenue par le Rwanda.

Après la signature de l’Accord de Pretoria, il ne participe pas au gouvernement de transition (1+4) ni à l’élection présidentielle de 2006. Arrivé second à la présidentielle en 2011, il contestera le résultat du scrutin.Président du Conseil des sages du Rassemblement es Forces politiques et sociales acquises au changement créé en juin 2016 à Genval, en Belgique, il est désigné, à l’unanimité, à la tête du Conseil national de suivi de l’Accord du 31 décembre 2016. Fonctions qu’il n’exercera jamais.

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