Un Burkinabé pour la première fois à Kinshasa raconte

Publié le par Cornelis Nlandu-Tsasa

Récit d'un Burkinabé de passage pour la première fois à Kinshasa

Les Africains disaient très justement : ‘Voir Kinshasa et mourir’. En effet, la capitale congolaise était un lieu à voir à tout prix, une ville envoûtante avec ses immeubles modernes, sa vie diurne colorée de tous ses habitants souriants à longueur de journée. Ses nuits étaient tout autant des attractions, avec ces ‘nganda’ lumineux et bruyants, ses dancings recevant jusqu’à l’aube et les innombrables coins de restauration populaire. Que reste-t-il aujourd’hui de toutes ces attractions ?

C’est l’essentiel des propos de ce Burkinabé arrive à Kinshasa pour la première fois, à peine précédé par la sulfureuse réputation de la capitale congolaise.

Carnet de voyage et correspondance particulière 

Accompagnant à Kinshasa l’équipe nationale espoir, les Etalons du Burkina Faso, pour le match retour des éliminatoires des Jeux olympiques, Londres 2012, j’ai été surpris de constater certaines choses au pays de Kabila. Déjà, la défaite et l’élimination des Etalons espoirs suffisaient pour conclure que le voyage de Kinshasa n’a pas été fructueux. Mais voilà que d’autres situations sont venues empirer cette expédition en République démocratique du Congo (RDC). Retour sur un voyage !

Tout commence à l’aéroport international de Kinshasa, à l’arrivée de la délégation burkinabè, le 7 avril 2011. Les Etalons espoirs attendaient d’embarquer dans un bus digne de ce nom comme le Burkina Faso sait le faire aux équipes visiteuses.

Les joueurs sont dehors, sous le hall. Où est le bus ?, se demandait-on. Le chef du protocole de la Fédération congolaise de football, venu accueillir la délégation, répond : « Voilà le bus là-bas, au fond. On est en train de gonfler une roue ». Et le protocole d’ajouter : « C’est comme un avion ; il faut prendre toutes les précautions »

Deux minutes plus tard, le fameux bus avance. Tous les membres de la délégation burkinabè ont les yeux hagards. « C’est ce bus-là ».

« Et il dit que c’est comme un avion ? », s’étonne un joueur. En fait, le bus, c’est exactement comme celui qui transporte les femmes-balayeuses de Ouagadougou. Une dizaine de places assises pour une délégation de 27 personnes ! Les bagages entassés dans le bus, les uns assis, les autres debout et le vrombissement du fameux bus déchire les artères boueuses de la capitale.

SDC10978 L'avenue de la Victoire, à Kinshasa

« C’est la capitale du Congo comme cela ? », nous demande un autre joueur. Les taudis, les voies sales et les caniveaux bourrés avaient attristé les jeunes joueurs qui se demandaient s’ils étaient vraiment à Kinshasa, la fameuse capitale qui abrite 10 millions d’âmes sur les 60 millions que compte la RDC. Et un autre joueur de tirer sa conclusion : « Si c’est comme cela Kinshasa, c’est que notre maire, Simon Compaoré, est à féliciter ». Dommage que la Fédération congolaise de football n’ait pas suggéré une sortie des joueurs au centre-ville où il fait plus beau, pour que les jeunes aient une autre perception de la RDC avant leur retour, car il y a aussi de belles choses à voir à Kinshasa.

Eviter de se restaurer dans la rue

SDC11018 Un restaurant populaire, à Bandalungwa-Kinshasa

Ce constat passé, cap sur l’hôtel. Les cinq journalistes se détachent du groupe pour se chercher un logis. Un premier séjour dans un hôtel au centre-ville nous donne la température. Unanimement, les confrères se décident à changer d’hôtel car celui de la veille est décevant. Sur indication d’un Burkinabè résidant à 2000 km de Kinshasa que j’ai joint au téléphone, nous sommes enfin bien logés.

Vu les conditions de restauration à Kinshasa, le groupe des journalistes se décide de ne manger que dans un restaurant digne de ce nom, quel qu’en soit le prix. Si le premier jour, nous nous sommes rendus dans un restaurant d’un Ivoiro-burkinabè du nom de Derra, nous avons, pour le reste de notre séjour, mangé sur place à l’hôtel.

Le jour du match, le 9 avril, nous découvrons un Stade des Martyrs mal entretenu. Impensable pour un grand pays comme la RDC ! Malgré tout, la RDC bat le Burkina sur cette pelouse. Il fallait donc revenir au Burkina Faso. Nous sommes le 11 avril et à l’aéroport international de Kinshasa, nous sommes dans le noir. Il fait très chaud ; une chaleur humide.

Il n’y a pas d’électricité à l’aéroport. Quoi ? S’indigne un passager. C’est là que j’ai su que les délestages étaient plus sérieux en RDC qu’au Burkina Faso. Un autochtone de me préciser : « Dans certains quartiers, le délestage peut durer deux mois et demi ». Vous ne rêvez pas. Deux mois et demi ! Incroyable ! C’est la capitale des groupes électrogènes ou des lampes à pétrole. C’est alors qu’une Congolaise vivant au Burkina Faso fait observer : « Si le Burkina Faso avait le dixième des potentialités de la RDC, il allait être un paradis ».

La taxe de trop

La Fédération congolaise informe la délégation burkinabè que chacun doit payer 50 dollars (environ 23 000 F CFA) pour pouvoir embarquer. Effectivement, la délégation burkinabè déboursera 1350 dollars pour honorer cette fameuse taxe. Pourquoi ? Personne n’ose répondre. « C’est comme cela et c’est obligatoire pour tous les passagers ; même les ambassadeurs et les ministres payent », nous lance un Congolais.

Devant le manque d’informations, je me décide à aller vers la sécurité de l’aéroport ». Là, un policier me signifie que les 50 dollars par passager constituent l’effort de chaque voyageur pour la réfection de l’aéroport de Kinshasa et que cette décision dure déjà deux ans.

Très vite, d’autres policiers m’entourent et je ne manque pas de leur dire que c’est une triste décision car la RDC, à elle seule, peut nourrir toute l’Afrique si elle le veut. Je ne comprends pas pourquoi il faut compter sur les passagers pour refaire l’aéroport de son pays.

Mieux, le passager n’est informé que le jour de son retour. Supposons qu’il reparte chez lui sans le moindre sou ! Devant ma surprise et ma colère, un des agents de sécurité me lance : « Monsieur, vous avez mal parlé ». Vite, un de ses collègues lui répond : "Non. Il n’a pas mal parlé. Il nous plaint, il a pitié de nous ». Et de se retourner vers moi pour ajouter : "Je vous comprends monsieur, mais c’est ce qu’on vit ici ».

SDC11052  Un engin de construction à l'aéroport de N'Djili

Formalités à la lueur de torches

Il est l’heure des formalités. Je croyais les peines de la délégation terminées. Mais non. Un cafouillage monstre sous le hall. Renseignements pris, tout se fait manuellement à l’aéroport. Le scanner qui identifie les bagages est en panne. C’est ainsi qu’on peut lire sur ledit scanner : « SVP, la machine est en panne. La fouille se fait manuellement ». Je fais vite de photographier ce message. Les Etalons s’organisent pour surveiller les bagages de la délégation jusqu’à l’enregistrement, sous la lueur de torches. Je demande à une policière s’il n’ y a pas de groupe électrogène à l’aéroport. « Si ! Mais je ne comprends rien », me répond-elle. « Même au village, ce n’est pas comme cela », lance un passager.

Même avec les milliers de passagers par jour qui payent chacun 50 dollars depuis deux ans, l’aéroport de Kinshasa ne peut s’acheter un groupe ! Vers la fin des formalités, la lumière rejaillit au grand bonheur des passagers. Ouf, mais pas de climatisation ! Chacun est pressé de rentrer dans l’avion. C’est fait. Heureux de retrouver Addis Abéba en Ethiopie, puis Ouagadougou au Burkina Faso.

Dans la vie, il faut voir pour croire. Et il revient à mon souvenir cette remarque d’un joueur qui était visiblement marqué par le visage que présentait Kinshasa : « Quand tu ne sors pas, tu ne sais pas que le Burkina Faso est bien ».

Alexandre Le Grand ROUAMBA (Ouaga-Kinshasa-Ouaga)

NDLR : Ne croyez surtout pas qu’il s’agit là d’une injure. Il s’agit plutôt d’une remarque formulée à l’égard de ces leaders qui croient que nous construisons notre pays. Au contraire, il y a trop de vols, trop de pillages et trop de corruption, qui fait que seule une masse insignifiante de récettes de l’Etat passe dans l’effort de reconstruction, alors que la plus grosse part va dans des poches privées, sans que les concernés (gouvernants et magistrats) ne s’en émeuvent un seul instant. Ce qui est criminel, suicidaire et fortement regretable.

La RDC est réellement très riche, mais les politiciens (ces gens qui ne comprennent rien à la politique) croient naïvement qu'on ne peut le développer qu'avec des fonds étrangers. Ainsi, pendant que certains pays africains ont fait un pas en avant dans la modernisation de leur espace, les Congolais, eux, continuent à danser le 'ndombolo', estimant, pour paraphraser un musicien, que : 'Toza na biso bien' (Nous sommes tres bien comme ca). Erreur.

On a construit 2 mètres de route : mobilisation générale, orchestre, danses, per diem et un très haut responsable pour le ruban symbolique. Mais dans l'entre-temps, la moitié du budget alloué a été volé. Drôle de pays, où le ministère public n'a plus comme rôle de traquer les infractions, mais d'avaliser les désiderata des décideurs.

A cette allure, qu'on accepte que les ressortissants de petits pays nous donnent des lecons et nous tournent en dérision, car nous ne sommes plus que des voleurs, des corrompus et des jouisseurs. C'est un constat grave, mais si un Congolais osait porter cette vérité en public, au lieu que cela nous incite à changer, on le jette plutot en prison. Car, 'toza na biso bien'. 

 

 SDC11048 

Un acteur de théâtre populaire, improvisé en animateur PPRD

(Photos : www.lesignalducontinent, Kinshasa)

 

 

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R
<br /> <br /> <br />
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I
<br /> C'est triste<br /> <br /> <br />
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