RDC/Elections 2016 : Pressions maximales sur Kinshasa (Analyse)

Publié le par Jean-Cornelis Nlandu-Tsasa

Le bureau de la CENI dans ses oeuvres
Le bureau de la CENI dans ses oeuvres

Bruxelles, 23/09 - Les autorités congolaises ont échoué à organiser les élections dans les délais constitutionnels. Délibérément d'ailleurs, alors que plusieurs pays africains les ont organisées sans le moindre mal. A Kinshasa, l'on a surtout usé et abusé de beaux discours pour tenter d'expliquer l'inexplicable. Mgr Monsengwo avait dit un jour : "Les Congolais croient que lorsqu'ils ont parlé, ils ont travaillé".

Ce qui est surtout inouï est que malgré leur bourde face à la Constitution - adoptée par les députés et sénateurs, approuvée par la population par référendum et promulguée par le président de la république par ordonnance - les tenants du pouvoir continuent à bomber le torse et à se convaincre qu'ils sont sur le droit chemin. Oubliant qu'ils étaient en train de s'engouffrer corps et biens dans une impasse et que la conjonction des inepties contribuera à confectionner une bombe prête à exploser à la moindre étincelle, sans choisir ses victimes même dans le camp des provocateurs.

Depuis la révolution burkinabé qui a éjecté Blaise Compaoré en octobre 2014, bon nombre de pays africains ont organisé leurs élections avec des fortunes diverses, mais les ont organisées : au Nigeria où Goodlouck Jonathan a cédé sa place à Muhammadu Buhari sans la moindre violence comme au Bénin et en Centrafrique ; au Gabon malgré un appel au recompte des voix, au Togo où Faure Gnassigbé a obtenu son 3ème mandat sous les accusations de fraude, au Burundi et au Congo Brazzaville où le 3ème mandat des présidents sortants a été acquis au prix de féroces répressions, ou encore au Rwanda.

User de tous les subterfuges possibles pour un 3ème mandat

En RDC, les autorités vont user de tous les subterfuges pour sauvegarder leur pain, en tentant d'imposer le maintien de leur idole, sans savoir qu'ils s'enfermaient dans une logique auto-suicidaire. Après avoir échoué à modifier la Constitution en janvier 2015 au prix d'une vingtaine de morts, puis mis à contribution la Cour constitutionnelle dans une requête pourtant irrecevable, après avoir péniblement organisé un dialogue inclusif rejeté par une bonne frange de l'opposition - et donc un dialogue non inclusif et en contradiction avec l'ordonnance le convoquant - et mis à contribution la Centrale électorale pour une rallonge de 16 mois et un jour au dernier mandat de Kabila, au prix d'une cinquantaine de morts et des immeubles incendiés, le piège semble aujourd'hui se refermer de manière inexorable.

Raison avancée pour la rallonge : le pays n'a pas d'argent, alors qu'il est l'un des plus riches d'Afrique, avec des revenus siphonnés en toute impunité par ses dirigeants. Autre raison farfelue : le pays est très vaste, alors que tous les Congolais ont appris depuis l'école primaire les dimensions de leur pays, que les autorités s'en rendent compte seulement en 2016 est scandaleux. Ou encore : inexistence d'infrastructures routières et électrification insuffisante, dans un pays qui a paradoxalement décrété les "cinq chantiers" puis "la révolution de la modernité", encensés à longueur de journées par leurs thuriféraires aveugles.

Les différentes sorties médiatiques des leaders de la Majorité ne sont pas de nature à rassurer. Pour le SGA du PPRD Henri Mova, il faut "passer au référendum" en vue de modifier la Constitution et ainsi permettre un troisième mandat à son poulain. Une déclaration faite le 4 juin 2016 et qui a provoqué un tollé de toutes parts, mais qui résumait les desseins cachés de la Majorité.

Son adjoint, Ramazani Shadari, sera moins habile. Après avoir nargué la population en déclarant qu'"il n'y aura rien le 19 septembre, parce qu'ils sont peureux (les Congolais)", début juillet 2016 sur la RTNC il va récidiver :"Il y aura un troisième mandat pour Kabila, par référendum ou sous une forme".

La RDC : un pays aux caractéristiques singulières

Les tenants du pouvoir oubliaient parfaitement que la RDC n'est pas le Rwanda ni le Congo-Brazzaville, compte tenu des enjeux qu'elle représente et face à son histoire particulière et unique depuis l'arrivée de l'AFDL, "un conglomérats d'aventuriers" pour paraphraser son leader Mzee Kabila.

Et les faits sont légion : des armées de pays voisins sur son territoire, un peuplement flou de sujets d'origines discutables et insécurité permanente depuis près de 20 ans à l'est sans que cela ne préoccupe Kinshasa, qui préfère amasser ses troupes à Kinshasa où il n'y a pourtant pas de guerre, traitement sélectif des cadres sans raison apparente et favoritisme dans les institutions d'une seule ethnie minoritaire bien ciblée, importation massive du personnel des provinces vers la capitale au détriment des locaux, confinés dans un chômage quasi-généralisé.

Mais encore : multiplication de projets slogans sans résultats apparents pour le vécu quotidien (5 chantiers, révolution de la modernité ou Bukanga Lonzo), dépassements budgétaires intempestifs, salaires de corruption pour les mandataires face aux salaires de misère pour les travailleurs, enrichissement scandaleux d'une petite caste de privilégiés face à l'appauvrissement extrême de la majorité, détournements, corruptions et concussions dénoncés de toutes parts sans la moindre sanction, brimades d'une population pourtant à bout de souffle, etc, autant de facteurs qui ont précipité leurs acteurs dans une situation inextricable et sans le moindre espoir de retour.

Le pont définitivement brisé

Aujourd'hui, alors que les experts en langue de bois s'évertuent à encenser le gouvernement pour la décrispation de la situation politique, les 50 civils tués par "armes létales" lors des violences de lundi et mardi 19 et 20 septembre, dont nul n'a été tenu responsable, suivis de quelque 300 personnes arrêtées selon le décompte du Haut commissariat de l'ONU aux droits de l'Homme, l'incendie des sièges de trois partis de l'opposition par un pouvoir qui a la protection des personnes et de leurs biens dans ses attributions et le déploiement de la garde du président Kabila dans les rues de Kinshasa semblent avoir définitivement brisé le pont avec une opposition que le chef de l’État appelle pourtant au dialogue.

Et si, au cocktail amorcé par la pression de la rue il faut ajouter les exigences exprimées par l'ONU pour l'organisation des élections dans les délais ainsi que celles de l’Église catholique de faire mention dans le communiqué final "des dates des élections" cumulées, "du plan de décaissement des fonds" nécessaires, "de la composition du Comité de mise en œuvre" et son "planning de travail" et que soit "clairement établi et stipulé que l'actuel président de la république ne sera pas candidat à la prochaine présidentielle à organiser le plus tôt possible", le piège semble se refermer définitivement sur ceux qui ont toujours exhibé leurs muscles, à la place de faire amende honorable. Il n'est dès lors pas étonnant que la cocotte minute explose.

Scènes de révolte à Kinshasa

Scènes de révolte à Kinshasa

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