Kinshasa : Une atmosphère d’apocalypse (Analyse)

Publié le par Jean-Cornelis Nlandu-Tsasa

 

Bruxelles, 23/10 – Après l’épisode d’évasions massives des prisonniers en RDC, qui avait débuté à la Prison de Makala, avec 4 191 détenus qui se sont fait la belle, battant ainsi le record mondial en la matière - alors que le ministre en charge faisait seulement, lui, état de 50 prisonniers manquants - (Lire aussi http://lesignalducontinent.over-blog.com/2017/05/evasion-massive-a-la-prison-de-makala-document-et-chiffres-exacts.html ), voici aujourd’hui un nouveau feuilleton, les incendies des bâtiments fraîchement édifiés.

 

En moins de trois jours d’intervalle, en effet, la capitale congolaise a été réveillée par deux incendies spectaculaires : l’immeuble Empire, sur l’avenue du 24 novembre (aujourd’hui Libération), en face de l’ISC, qui s’est complètement embrasé le dimanche 15 octobre, suivi dans cette infortune de Food Market à Kintambo, le mardi 17 octobre.

 

Des confrères de Kinshasa proches de la Majorité présidentielle, contactés à ce sujet, ont été unanimes à justifier qu’il ne s’agit que d’immeubles privés et donc rien à voir avec les événements qui secouent la RDC. Pour eux, on pouvait dormir tranquille. Mais avec la révélation à répétition de pillages et concussion à tous les niveaux du pouvoir, en parfaite impunité d’ailleurs, seul un devin est aujourd’hui capable d’établir le distinguo ou la ligne de démarcation entre le privé et l’officiel, la RDC ayant longtemps cessé d’être un pays normal.

 

Aussi, ces incendies procèdent-elles d’opérations menées par ces « hommes masqués » tel que l’affirme la rumeur ou s’agit-il de simples accidents ? En tout cas, la réponse ne viendra pas du porte-parole du gouvernement, dans ce pays où la communication officielle souffre d’un déficit criant.

 

 

Un tableau sombre de la justice en RDC

 

Au sujet d’ailleurs des nombreuses affaires financières révélées ce dernier temps et mettant en cause des apparatchiks, il convient de relever l’inexistence sinon le laxisme maladif de la justice congolaise (Lire aussi http://lesignalducontinent.over-blog.com/2017/05/comment-les-services-de-securite-et-le-pgr-ont-laisse-pourrir-le-pouvoir-de-kabila-analyse.html ). Alexis Thambwe Mwamba, qui a lui aussi versé dans le mensonge comme technique de communication, vient de le reconnaître, même si c’est un peu tardif. Mais mieux vaut tard que jamais, dit-on.

 

Le ministre de la Justice a déclaré, le mercredi 18 octobre lors de l’ouverture de l’assemblée générale du Conseil supérieur de la magistrature, que « la justice reste infectée par plusieurs maux », avec « de nombreuses personnes détenues depuis de longues années sans être présentées devant le juge » et « des délais de prononcés non respectés ». Il ajoute que « l’arrestation et la détention sont devenues un instrument d’intimidation et de terreur », avant de dénoncer « les actes de certaines autorités politiques dont l’interférence dans la procédure judiciaire impacte négativement la justice et mettent à mal l’indépendance de la magistrature ».

 

Mais l’on est en droit de se demander où était le ministre Thambwe toutes ces dizaines d’années, puisque tout le monde sait depuis longtemps ce qu’il sait aujourd’hui. Alors qu'il n'est plus un secret pour personne que cette justice ne s'actionne que contre les opposants et le petit peuple.Notre article mentionné ici date de cinq mois plus tôt. Pire, le ministre s’est contenté de fustiger et cela s’arrête là, sans effet. C’est avec justesse que Mgr Monsengwo avait reconnu: « Les Congolais pensent que quand ils ont parlé, ils ont travaillé ». Aucune sanction proposée à l’encontre des autorités politiques voyous ni des magistrats laxistes. Ceux-ci ont d’ailleurs annoncé l’organisation de deux jours d’arrêt de travail les 23 et 24 afin de protester contre la vérité proclamée par leur ministre, l’unique fois qu’il dit la vérité.

 

Le dernier coup de poker de Kabila

 

 

Pour sa part, le président de la Commission électorale indépendante, M. Naanga, a une fois de plus nargué les Congolais, en annonçant qu’il lui faudra au moins 504 jours après la fin de l’enrôlement pour organiser l’élection présidentielle en RDC, et donc pas avant 2019. Il justifie ce retard par l’enrôlement au Kasai après les violences qui ont déporté plus d’un million de Congolais, principalement en Angola. Et ce, foulant une fois de plus aux pieds le consensus obtenu par toute la classe politique pour l’organisation des élections en décembre 2017.

 

Ainsi, après avoir démontré sa mauvaise volonté et son refus de respecter le moindre accord, Joseph Kabila, dont le mandat a pris fin le 16 décembre 2016, sort de sa manche la dernière carte magique. Il passe par la CENI pour se maintenir encore longtemps au pouvoir, contournant ainsi avec la manière son échec à amener le Rassemblement et la Société civile à un 3ème dialogue. Pire, Kabila le fait sans rire, même avec un bilan largement en-dessous du talon et après avoir réussi l’exploit de se mettre à dos les populations du Kivu et du Katanga, son fief supposé, où un homme de Dieu, le pasteur Mulunda, alors président de la CENI, lui avait une fois accordé, dans un excès de zèle, un record de 102 % de voix.

 

Ainsi, le même Naanga qui avait prévu ses élections en juin 2018 vient d’être résolument mis au pas. L’ONU, par la voix de son secrétaire général Antonio Guterrres, a immédiatement réagi en sommant les autorités congolaises de publier urgemment un calendrier crédible pour l’organisation des élections dans un bref délai, conformément à l’Accord de la Saint Sylvestre, donc en décembre 2017. Mais ce pouvoir peut-il encore entendre la voix de la raison, lui qui gouverne, par défi, un pays qui est le seul au monde où l’organisation d’élections constitue un casse-tête chinois ?

 

Un projet de loi pour protéger les pilleurs

 

 

Aux dernières nouvelles, on apprend qu’en lieu et place de proposer des sanctions face à de nombreux cas de pillages et d’affaires maffieuses révélées par les médias, Kengo wa Dondo prépare au contraire « une loi qui protège la personne et les biens du président et de sa famille après le pouvoir », preuve que le président du Sénat reconnaît implicitement – et cautionne – que ces personnes ont excellé à piocher dans les caisses de l’État et à slalomer dans diverses magouilles qui ont privé l’État de ses ressources.

 

Mais avec une opposition largement divisée grâce à une corruption tous azimuts, quel sera le prochain épisode dans ce pays totalement à la dérive ? La population, clochardisée à souhait mais qui affiche une volonté farouche d’en découdre, pourra-t-elle bénéficier d’une étincelle, comme en janvier 1959, pour réussir à balayer le pouvoir en place ? Aucun prestidigitateur n’est en tout cas capable de résoudre l’énigme.

 

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